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Channel: La Liberté » Orchestre symphonique de Winnipeg (OSW)
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Aziz fait briller l’OSW

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Ce fut un immense plaisir de revoir la jeune étoile montante Aziz Shokhakimov diriger pour une seconde fois l’Orchestre symphonique de Winnipeg, le 11 octobre 2014. Comme à ses débuts dans un mémorable programme tout Tchaïkovski il y un an, il a entraîné l’orchestre vers une autre performance de très haut niveau.

Aziz Shokhakimov.

Aziz Shokhakimov.

Aziz a présenté un programme bien agencé, avec une progression de l’intensité dramatique qui unifiait l’ensemble. Évoluant à rebours dans le temps, le concert a commencé avec une œuvre de 1941 dans laquelle Sophie Carmen Eckhardt-Gramatté affirme son attachement au romantisme, passé de mode entre les deux guerres, sans rejeter complètement les nouvelles techniques de la musique moderne. Suivait un concerto d’Elgar composé en 1918, une des dernières œuvres l’ère romantique, qui semble en déplorer la fin alors que s’amorce la révolution musicale du modernisme. Enfin, la Symphonie de Bramhs, composée en 1884, considérée comme le sommet du répertoire symphonique allemand après une longue et belle ascension amorcée à la période baroque, terminait le programme.

Shokhakimov a dirigé une brillante interprétation du Capriccio – Concertante de Sophie Carmen Eckhardt-Gramatté, une compositrice d’origine russe qui a immigré au Canada en 1953 pour s’installer à Winnipeg, où elle a pris la nationalité canadienne. Le capriccio est une courte pièce superbement orchestrée, originellement composée pour deux pianos, au rythme rapide et dansant, comme un incessant tourbillon, d’inspiration romantique mais teintée de modernisme, avec des arrêts, des syncopes et des accents inattendus. L’interprétation de Shokhakimov fut un régal de nuances et de subtilités rythmiques.

Julie Albers.

Julie Albers.

Comme lors de sa première visite, la deuxième œuvre au programme était un concerto pour violoncelle, le Concerto pour violoncelle en mi mineur d’Edward Elgar, avec la violoncelliste américaine Julie Albers. Née en 1980 dans une famille de musiciens à Longmont, Colorado, elle a commencé à étudier le violon avec sa mère à l’âge de 2 ans et le violoncelle à l’âge de 4 ans. Jeune adolescente, elle a été admise au programme pour jeunes artistes du Cleveland Institute of Music et a rapidement fait sa marque dans des concours. Depuis ses débuts professionnels avec l’Orchestre symphonique de Cleveland en 1998 elle poursuit une carrière internationale en récital, avec des orchestres et en musique de chambre. Elle et ses sœurs Laura, violon, et Rebecca, alto, forment l’Albers Trio.

Ce concerto est la dernière œuvre majeure d’Elgar, composée en 1918/19, à la fin de la Première guerre mondiale. Elgar se sentait alors dépassé et accablé par les événements, dont la maladie qui était en voie d’emporter son épouse, décédée en avril 1920. Il avait le sentiment d’être démodé et se rendait compte que sa musique était de moins en moins jouée et appréciée. Le concerto est une œuvre au caractère sombre et introspectif, reflétant les sentiments et pressentiments d’Elgar. Albers et Shokhakimov en ont donné une interprétation très émouvante, mais sans verser dans un pathos exagéré. Exceptionnellement, c’est le violoncelle qui ouvre ce concerto et nous sommes frappés dès les premières notes par la riche sonorité de l’instrument, fabriqué par N.F. Vuillaume en 1872. Ayant une technique parfaitement maîtrisée et intégrée, Mme Albers fait chanter son violoncelle avec beaucoup de musicalité, donnant l’impression de jouer sans effort. Le son est toujours clair et le doigté très juste. Le violoncelle et l’orchestre dialoguent avec engagement et sincérité, chacun s’affirmant sans jamais dominer. Shokhakimov ne se contente pas d’accompagner. Il demande à l’orchestre de jouer avec intensité et émotion, valorisant pleinement le récit orchestral tout en maintenant un parfait équilibre sonore avec la soliste.

Shokhakimov a attaqué la Symphonie no 4 de Brahms avec une assurance étonnante pour un si jeune chef, dirigeant presque de mémoire du début à la fin. Cette symphonie tragique, la dernière composée par Brahms trois ans avant sa mort, est considérée comme la plus achevée du répertoire, élevant l’écriture symphonique à son sommet. Elle est l’accomplissement d’une vie de recherche et de création musicale ancrée dans la tradition allemande allant du baroque à la fin du romantisme. Pour marquer son attachement à cette tradition, Brahms s’est inspiré d’une Cantate de Bach dans le quatrième mouvement et a été le premier à intégrer la forme de la passacaglia dans une symphonie.

L’interprétation de Shokhakimov a été captivante et intéressante tout au long des quatre mouvements. La narration est claire, bien rythmée, a du souffle et de l’émotion. Aziz exécute les nuances avec subtilité, faisant notamment monter de superbes crescendos vers des fortissimos qui sont toujours harmonieux et équilibrés. Il donne beaucoup de relief aux dialogues entre les pupitres, en faisant clairement ressortir les passages mélodiques dominants des différentes sections. Il contrôle très bien la sonorité, maintenant toujours un parfait équilibre de l’ensemble. Tous les musiciens se sont surpassés. Les cordes ont joué des lignes d’un lyrisme poignant, les vents et les cuivres ont brillé de clarté et de musicalité, notamment dans la superbe pastorale du second mouvement que Richard Strauss a décrit comme « un cortège funèbre avançant sur des sommets éclairés par la lune ».

Longuement ovationné à la fin de ce superbe concert, le jeune chef a reçu cet hommage avec humilité. Il voulait partager ce succès avec les musiciens qui s’étaient joints aux acclamations, mais ces derniers ont longtemps attendu avant d’accepter de se lever pour recevoir leur part d’applaudissements amplement mérités. Espérons qu’Aziz a déjà été invité pour la prochaine saison.

Orchestre symphonique de Winnipeg
Salle de concert du Centenaire, le 11 octobre 2014
Aziz Shokhakimov, chef
Julie Albers, violoncelle

Capriccio – Concertante – S.C. Eckhardt-Gramatté
Concerto pour violoncelle et orchestre en mi mineur op. 85 – Edward Elgar
Symphonie no 4 en mi mineur op. 98 – Johannes Brahms

Pierre Meunier


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